29 août 2006

M'y voici, tovorichtch!

Zdrasdvuytye!(Eh oui, on passe gentiment au russe)

La voila enfin l Asie Centrale, celle dont on entend parler dans les journaux.Meme si pour moi, l Asie Centrale, la vraie, je viens de la quitter.C etait celle des turbans de 10 metres, des coupoles bleues ou tourbillonent les zikr des souffis en transe, des monuments historiques inestimables que personne ou presque ne va jamais voir, perdu dans des fiefs talibans ou des montagnes habitees de transhumants...Et de tellement d autre chose.Bref c etait l Afghanistan.

Alors comment appeller les contrees qui remplissent mon horizon depuis que j ai passe l Oxus(l Amou-darya) il y a quattre jours?
C est d abord l'(ex-)U.R.S.S.(oui, j hesite a mettre le "ex-").Ensuite alors, par deffaut, on appellera ca aussi Asie centrale, mais on gardera a l esprit que la slavitude y a construit autant qu efface, avec une efficacite sans detour, et que ca se voit.
Ne croyez pas que je me plains de l heritage sovietique, une fois que j aurai digere les mille "registratsia" et autres permis speciaux qui chacun coute de nombreux dollars(Ah, ces pays qui ne font pas confiance a leur monnaie!), je profiterai alors pleinement de mes nouvelles libertes (Ca fait quand meme plaisir de pouvoir parler au sexe oppose sans avoir a craindre qu un grand frere vienne vous liquider).

Si je n avais pas ete clair, je suis a Doushambe, Tadjikistan.Drole de pays.Chaque chose m est vaguement familiere mais leur agencement me parait incongru:Les gens parlent la langue de l Iran en vivant comme des Russes, toutes les femmes sont habillees comme des paysannes Bosniaques et les hommes ont des petits chapeaux carres...ceci au milieu de blocs tous identiques(Je suis dans le Blok 102... et vous?); entre deux voies d autoroute on fauche a la serpe ce qui fait diablement penser a un bout de cocagne macedonienne...
Et les tetes des gens!Il y a de tout, et tous les melanges possibles.On distingue des traits altaiques par-la, slaves par-ici, ougriens de ce cote,... et finalement on ne cherche plus parce que c est impossible de savoir.Cette contree est un carrefour de peuple depuis des milliers d annees, et ils y ont tous laisse un paquet de chromosome.Allez-y pour les dissequer a vue!Moi j ai abandonne, je me contente d observer.

Bientot de nouvelles anecdotes centrasiatico-sovietiques, que j essayerai de develloper en parallele du post sur l Afghanistan que j ai a peine entamme(il y a encore tellement a dire sur cette partie du voyage...parfois j ai envie de garder tout ce que je n ai pas encore raconte sur l Afghanistan pour moi)

Salutations socialistes

Adrien

17 août 2006

bien a vous, d Afghanistan



Bismillah-irahman-irahim!


Encore une fois,je suis a Kaboul.En Afghanistan toutes les routes menent a Kaboul,et seulement a Kaboul.

Il va donc falloir que je vous detaille mes peripeties?Soit.C est parti!

L Afghanistan n est pas seulement la voie la plus courte du Pakistan a l Asie Centrale ex-sovietique(les "-stan"),c est surtout un pays qui me faisait rever depuis longtemps.
Dans les Chagai hills(le train baloutch, vous vous souvenez?),vers Quetta,au bout de la vallee de Chapursan qui mene aux confins du Wakhan tout comme Yarkhun et les vallees Kalasha qui rejoignent les monts du Nouristan,je m etais approche de tres,tres pres.Apres avoir flirte avec la frontiere cote Pakistanais,il fallait que j y entre pour de bon!

Alors apres la fournaise de Peshawar(48 degres), j attaquai enfin le fameux Khyber pass.Le jour precedent, j avais obtenu en deux heures et pour peu d argent mon visa afghan...enfin un visa facile a obtenir!Vraiment facile.
En revanche, personne ne m avais indique qu il fallait un permis special pour traverser la zone tribale qui se trouve entre Peshawar et la frontiere.Je l ai appris au dernier moment,et je me suis dit, Y'allah kheyr, je vais le tenter sans permis, c est pas un bout de papier qui protege dans ces coins-la!

Le lendemain, un peu tendu je l avoue, j ai pris un minibus pouilleux de Karkhano,le bazar des trafiquants.Les bus pour la frontiere partent seulement d ici.Apres une attente intenable, le chauffeur a demarre, et j ai franchi le premier obstacle:la frontiere des zones tribales,qui commence immediatement apres Karkhano.Personne n avait capte mon origine non-pashtun et/ou non-afghane.Il y avait encore une heure a tirer jusqu a la frontiere.
Les maisons ici deviennent des forteresses:Une enceinte en pise de 5metres de haut,en quadrilatere,avec un mirador a chaque coin... tout ca pour ne pas qu on voit les femmes?Siderant! Et aussi parce que les Pashtun sont des guerriers,et un guerrier vit dans une forteresse.Logique,non?Enfin,c est ma theorie.Si vous en doutez,allez leur demander.
Le Khyber ca n est pas un col a proprement parler,mais plutot une longue montee en colimacon.Une voie de chemin de fer des plus saugrenues joue a cache-cache avec la route en passant a travers un nombre incalculable de tres courts tunnels,ou sur des ponts en pierre seche.
On traverse Landi Kotal et son bazar bourdonnant et plus magouilleur que tous.Ici la seule loi c est le pashtunwali!!!Et aucun pays,aucun gouvernement ne le conteste.
Et puis la voila,la frontiere:un replat(cense etre le col,peut-etre),et un pont.Le pont,c est la frontiere!Des familles entieres avec des ballots gonfles comme des baudruches, des sacs de riz remplis de tout sauf de riz,sur des charriots a roulettes,des troupaux de chevres,des floppees de coitrons a peine surveilles par des burqas anonymes et bien impuissantes,plus occupees a faire avancer un ane teigneux charge de couvertures pendant que leur barbu de mari serre des mains... tout cela passe dans la confusion la plus totale.

Suis alle montrer ma face a la douane pakistanaise,qui m a demande ou etaient mes gardes armes, mon taxi prive et mon permis, j ai dis nichta,mon oncle.Ils ont voulu me faire retourner a Peshawar,"for my safety",prendre tout cet attirail qu ils me reclamaient.Et puis, au bout d un moment, ils se sont resignes.J ai passe le pont,trouve la douane afghane qui etait bien cachee, dit bonjour a Massoud qui toisait le bidasse qui a paraphe mon visa...
J etais arrive en Afghanistan!


1.Kaboul

"Lorsque le voyageur atteint Kaboul,[...]il se flatte d etre arrive au bout du monde.En realite, il vient d en atteindre le centre."N.Bouvier
C est vrai.
Kaboul,ce fut d abord pour moi un des bazar les plus vibrants que j ai vu.Imaginez:une foule compacte comme jamais,sans arret on cogne des turbans ou s encouble dans les drappes d un voisin.Des marchands du Khorassan au Badakhdhan,du Pendjab a la Bactriane, du Ghorband a l Arachosie, en passant par le Hazarajat et le Registan,viennent jusqu ici.
On y achete et vend avec frenesie, des cereales,des clous, des tetes de chevres, du toc chinois, des jus de fruits iraniens, des tapis bleus, des epices, du naswar, des couteaux US, des abricots frais, des racines de noyer, des perches en bambou, des couvertures pashtun, des turbans d Herat et des burqas du Wardak, des casseroles enormes, des images de stars bollywoodienes, de la farine russe, des recipients en pneu usage, des toques en astrakhan turkmene, des poules pretes a etre saignees, des chaussures en plastic du Pakistan, des pasteques demesurees,et mille et mille autre chose.
Le Sud et l Ouest dela ville sont lamines par les 25 annees de guerre civile,tandis que Shahr-e-nau(la ville nouvelle),pas grande mais proche du quartier des ambassades,se transforme continuellement.J ai fait 4 sejours a Kaboul, et j ai vu des changements nets a chaque fois au sud du Park-shahr-e-nau.En l espace de deux mois, 4 ou 5 centre commerciaux a l amerloque se sont eriges,des restos ont ouverts, des restos ont ferme, le nombre de distributeurs automatiques a quadruple,et ca ne s arrete pas!Vous appelez ca "du devellopement"?C est tout le contraire!Il y a un afflux de richesses qui profite a une extreme minorite, dont un tres grands pourcentage d expatries,alors que tout le reste des habitants se demene au quotidien.Le devellopement, ce serait de palier l enorme carrence en eau a laquelle la ville fait face depuis qu elle a gonfle de plusieurs millions d habitants, ou mettre a la retraite les chefs de guerre demi-dieux qui gangrenent le pays... mais c est trop difficile, alors "on" se contente de brasser de l air, de la paperasse, des projets " de reconstruction" bidons, et "on" va ramasser l argent de Bruxelles et New-York pour le depenser dans les Mall de shahr-e-nau.

Qnad je dis "on", je pense en particulier au "Monde des expat'".A Kaboul il y a deux monde parralelles, qui se cotoient toujours, parfois avec des frottements, mais jamais ne se voient.
Le monde des Afghans, d abord, essentiellement des ruraux urbanises.
Le monde des expat' ensuite, ONU, ISAF, O.N.G.(il y en a environ 3000), entreprises etrangeres...

Un mur opaque les separent, pourtant ils vivent l un a cote de l autre.L avantage, lorsqu on est voyageur comme moi, c est qu on peut passer de l un a l autre a son gre. ...meme si on finit toujours par etre degoute du monde des expat'.

Je suis monte dans une jeep d Oxfam(ong us)-comment j en suis arrive la serait long a expliquer-,voila le topo:Une 4x4 blanche avec une antenne de 3 metres de long, des que l on est a l interieur les portes sont cadenasse automatiquement et le chauffeur bloque les vitres.Si un membre de l ONG veut aller au resto ou meme simplement acheter des cigarettes au coin de la rue, il doit demander la permission a trois types differents, et ca n est pas sur qu il recoive l autorisation!D ailleurs,dans la plupart des 3000 ONG, ainsi qu a l ONU etcaetera, il est formellement interdit de parler avec un Afghan.On m en dira des nouvelles, de l amitie entre les peuples par l humanitaire et blablablabla.ONG,ou comment creer des murs:en beton,psychologiques,ethniques et entre classes!!!!

Heureusement il y a quelques exceptions,expres pour confirmer la regle.Comme MADERA, cree par un Pyreneen genial qui a passe ces 22 dernieres annees en Afghanistan, traverse tous les regimes et toutes les sales annees,et qui plus est dans un coin pas facile:La province de Kunar et du Nouristan( entre autre), d ou le djihad est parti et ou la guerre depuis lors ne s est jamais terminee.Il connait pas mal de commandants moudjahidin, de tous bords et finalement peu importe le parti ou la fraction, pour lui se sont des hommes, des chefs de tribu accessoirement, et ce sont ceux avec qui il doit travailler(ameliorer l elevage des chevres, la culture du topinambour ou la sauvegarde des dernieres forets de cedres du pays, par ex.) Mais ce qui m attache a lui, ce sont surtout les geniales digressions dans lesquelles il s emporte volontiers, sur le traffic des arbabs de Djibouti ou les origines sogdiennes de la Bactrianne, la colonisation du Khwarezm ou les razias turkmenes sur les campements de Kurdes nomades du Khorassan.


2.Ghazni-Paktya

Ghazni, c est deja le Sud... sur la route Kaboul-Kandahar, celle qui mord soi-disant!Elle ne mord pas mais c est vrai que ca n'est pas la plus sure du monde.il n empeche que cette route est belle, et la prochaine fois je la ferai en entier(et celle du Dasht-e-margo aussi).

Apres avoir soupese ma vie dans la balance du risque, j ai estime que j avais assez de chance pour y aller sans casse(et en revenir) pour tenter l aventure.
Dans le minibus, j etais a l aise, le passager a cote de moi etait bavard mais monologuait surtout,je me contentais de repondre en parlant un minimum(en farsi).de toute facon toute l attention des gens etait accaparee par un groupe de tribaux de je-ne-sais-quel bled du Pashtunistan qui rechignaient a payer...ils en jetaient plein la vue avec leur barbes immenses et leur gros turbans noir et or, leur patun(couverture-chale) en plein ete!

A Ghazni je me suis pointe directement chez Haji Sher Alam, le gouverneur... qui n etait pas la.Alors les bidasses m ont dument controle et fouille, offert un peu de leur gruau, amene au chef de la police, et la rebelote controle-questions.Puis une grosse legume de l administration m a prete, comme ca, parce qu il est Afghan, une jeep avec chauffeur,deux gardes en civil et un militaire.C est bien pratique, parfois:j ai pu voir les deux minarets neuf-centenaires sous toutes les coutures(ils etaient un peu reticent a ce que je photographie le cimetiere des chars sovietiques,mais tout autour des minarets il y en a tant que j en avais forcement dans mon objectif), monter dans la citadelle qui est bien minee(eux connaissent), et rendre hommage a Mahmud-Khan-e-Ghaznevi,le Turco-mongol qui poussa ses conquetes de l'Indu Kush a la plaine du Dekkan(en pleine Inde), avant que son empire se fasse devaster par le Ghoride Ala-ud-din Jahansuz.Il a un modeste ziarat(tombeau-lieu de pelerinage), rien de mirobolant sauf quand un souffi qui fait son zikr depuis Kaboul vient s y ecrouler, completement parti, encore secoue de spasmes:"Allah HHou,Allah HHou!", comme c est arrive au moment ou je sortais.
Les flics m ont case dans un hotel bien situe, proche du bazar et de la vieille ville qui est une des plus passionante que j ai vu.Ghazni, je m en souviendrai longtemps!

Ensuite, histoire de ne pas reprendre la meme route qu a l aller, j ai fait un grand detour par Paktya et Logar.
La route Ghazni-Gardez, c est quelque chose: Des paysages volcaniques, des fortins pashtun comme on en fait qu au Waziristan, et pas une SEULE burqa!!!On est pourtant en plein fief taliban, mais c est aussi le coeur du Pashtunistan, et ici il n y que verts suaves, rouges carmins, oranges subtils et violets capiteux,et a peine un voile lache sur la tete.


Pour aller a Gardez:une seule solution,des vieilles Toyota qui partent des qu'elles sont pleines-suffit de quattre ou cinq passagers.Ma place etait dans le coffre,la barbe contre la vitre.Je n'ai pourtant pas echappe aux questions,et avec les trois heures de route cahoteuse, il n'y a que trop de temps pour que les quattres tribaux en posent.je declarai que j'etais Chitrali,pratique comme les Chitralis ont la peau claire comme moi mais en plus sont musulmans sunnites.

Le but etait qu'ils ne me decelent pas comme un etranger, car etranger ici signifie argent et que ces collines volcaniques etaient l'endroit reve pour se debarasser de moi sans que personne ne sache.Telle etait ma crainte, la leur etait tout autre:c'etait que je soit candidat a l'attentat-suicide.Nous etions a peine parti que deux des barbus a pakol se mirent a paniquer, avertissant le chauffeur que leur familles et leurs surement tres nombreux enfants avaient besoin d'eux pour un temps encore,que je ne pouvait pas rester.Se tournant vers moi ils me demanderent encore une fois si j'etais arabe, et ce que j'avais dans mon petit sac noir... situation completement inimaginee:je me retrouvai a tenter de rassurer des vigoureux partisans des taleban...qu'ils n'allaient pas mourir aujourd'hui au nom de l'Islam-pas par ma faute en tout cas.

Cette eventualite macabre ne derangeait manifestement pas un pashtun de Khost,visiblement honore de ma presence.Il me demanda de nombreuses fois pendant le voyage,dans un sourire qu'il peinait a cacher, si je n'etais vraiment pas venu pour le djihad.Je dementis a chaque fois.


Si je n'etais pas un endoctrine,alors je devais etre un etranger,espion peut-etre, penserent-ils alors.Aie!mauvais pour moi...Mais avec ma barbe folle, mon teint de talib qui a passe sa vie en madrassa,mon shalwar-kamiz blanc,mon keffieh,mon sac mysterieux et ma connaissance du farsi,il ne pouvaient s'y resoudre.Je devais etre un djihadiste!Je soutenai mordicus ma version:Chitrali,musulman mais pas talib,venu pour voir du pays,un seyyah(voyageur) quoi!Difficile a avaler pour eux, mais j'affichais un sang-froid(contrastant avec les battements de mon coeur,parce que j'avais vraiment peur)qui les desorientait.


Pour les rassurer, je sortai mon rollei et fixais sur pellicule le paysage et eux-meme.Ca detendit legerement l'atmosphere,pas plus.

Je senti le souffle de tous s'arreter lorsqu'un convoi de l'armee americaine nous croisa,et des prieres-exaucees, s'envoler furtivement!

Je vis aussi des taleban a velo, un maitre et un disciple,leurs turbans blancs claquant dans l'air epais.

Singulieres apparitions,ici quotidiennes.


Gardez... le gout des melons ne change pas beaucoup,et ils ne valent pas ceux de Samangan.Poussiere omnipresente, environ 40 degres.Un gros bourg aux rues riches de detritus cuisants au soleil,les memes helements de bazar qu'ailleurs...

Mais a bien y regarder,il est evident que l'on a change de contree:Il y a ces pakols en forme de cone ecrase,larges et rigides comme ceux du Waziristan qui n'est plus tres loin.Et surtout ces tas immmenses de bois de Chilghoza(Pinus gerardiana) et de gnevrier,parfois meme de cedre odorifere, arraches a la montagne et qu attendent d'etre envoyes vers Ghazni et Kaboul.Reliques des sublimes et rares forets afghanes, presque reduites a neant.

Le Paktya.