31 décembre 2008

Tous cupides, tous généreux

Un mot sur la crise...

Il y a un an, à l'occasion du nouveau cycle du zodiac chinois qui s'ouvrait, je prédisais des nuages dans l'économie chinoise. Juste comme ça, parce que faire des prédictions et les voir se réaliser ç'est toujours jouissif, et que celle-là n'était pas trop difficile à faire.

Les bourses mondiales bouclent leur bilans et ç'est instructif d'y jeter un coup d'oeil: Celles qui montraient la plus forte croissance sont aussi celles qui ont le plus perdu. Tandis que les marchés européens et étasunien ont perdu entre 30% et 40% (excepté le cas de l'Islande, à -94%!), Hong Kong perd 48%, Buenos Aires 50%, Shanghaï 65%, et Moscou 67%. Au final, parmi les « grands », c'est les Etats-unis, matrice de la crise, qui s'en tire le mieux.

Mais ça n'est que le premier épisode, les suivants vont venir tout au long de 2009. Nul ne peut être sûr des faillites à venir. L'industrie automobile a vite rejoint le groupe des junkies économiques, à la suite des banques. Ils réclament aux états des injections de milliards. Une fois accordées ces sommes dont ont refuse systématiquement à la santé et à l'éducation ne serait-ce qu'une fraction, les cours des bourses font des percées records... deux jours, trois, quatre au maximum, puis replongent de plus belle. Gare à l'overdose!

Depuis octobre 2008, le libéralisme se dédit. Il se trahit lui-même. Somme toute, cela ne fait que différer un peu des changements qui sont inévitables. Et jeter par la fenêtre quelque centaines de milliards au nom de « la confiance ».

Dans deux ou trois ans, les plus grands constructeurs automobiles seront peut-être chinois et indiens. Et cela deviendra banal de rouler dans des véhicules de leur production aux Etats-unis et en Europe, où nous aurons raté une fois de plus le train du transport durable.

Le « capitalisme vert »? Biocarburants, compensation de carbone, OGM etc... Foutaise! Au mieux, un argument marketing, au pire, une arnaque planétaire.

Les pages « opinions » des journeaux me font rire! Chacun y va de sa « nouvelle idée ». Même les penseurs les plus renommés sont aveuglés par l'illusion, récurrente à chaque soubresaut de l'histoire, qu'il faut inventer une nouvelle ère.

Ils vont être déçu de découvrir que nous ne vivons pas une grande révolution, mais un simple rebattage de carte. Des capitaux qui changent de main, voilà tout.


...sur l'universalité...

J'entend souvent dire que la cupidité est la racine de la situation actuelle. « déroute de la civilisation à cause de l'avidité » est le genre d'expression qui me vrille les oreilles ces derniers temps, qu'elle soient de la bouche ou de la plume de théologiens rétrogrades, de « philosophes » postmodernes en mal de morale, ou de journalistes qui répètent trop sans réfléchir.

La cupidité ne disparaîtra jamais. Elle n'est pas un mal à extirper de l'esprit humain, mais une de ses composante.
Il faut savoir vivre avec, et contenir ses effets par des règles, des lois. Dire que la cupidité est la cause de la crise, c'est comme dire que l'humain est la cause de la crise: pas faux, mais stérile.

L'attitude de l'homme face à l'argent, au pouvoir et à la propriété, est universellement la même, j'en suis convaincu.

Y a-t-il une morale universelle? (Certains préfèrent le mot « éthique ».C'est du snobisme.) La question serait plutôt de savoir quels traits sont universels et lesquels ne le sont pas.

Certains ont même fait de cette question leur métier. L'universalisme est un courant de pensée philosophique influent, touchant non seulement à la morale mais aussi à tous les traits fondamentaux de l'esprit humain. Mais cela je ne l'ai découvert qu'après mon retour. Mon universalisme est tout-à-fait empirique, c'est une conviction qui s'est imposé à moi à mesure des kilomètres parcourus, des rencontres et des réflexions qui suivirent.

...et sur l'exotisme

J'étais parti avec une soif de langues oubliées, de coutumes inconnues, de derniers des Mohicans, Yagnobis et autres peuples minuscules et superbes.
Ce n'est pas que je ne les ai pas trouvés (les Mohicans, non, mais au moins les Yagnobis!), mais ils ne s'ajustaient pas dans les moules que je leur avais parfois préparé.

Le problème, c'est l'exotisme. Un mot qui cache bien son jeu, mais dont le suffixe, marque des doctrines et des idéologies, devrait nous mettre la puce à l'oreille. L'exotisme existe, mais il est une projection de l'esprit. Un tissu de désirs, d'attentes, d'idéalisations. Une envie irrépréssible que l'Autre soit conforme à l'image qu'on a de lui. Au fond, ne serait-ce pas une envie que l'autre réalise ce que soi-même on a abandonné?

Quel dommage lorsque les autochtones délaissent leur frusques qui faisaient bien sur la photo, snobent leur maison de bois et de torchis et rêvent de construire en béton, d'avoir la télé satellite, des routes dans la forêt et le vert des billets à la place de celui des arbres! Quel dommage lorsqu'ils nous imitent!

Mais nous, est-ce que nous nous verrions vivre en costume d'armaillis, travailler la terre des journées durant, sans mécanique bien sûr, mais avec des outils traditionnels parce que les touristes étrangers préfèrent?

Cette diatribe, je me l'adresse aussi. Car une partie de moi, qui veut se garder de tout penchant pour le pittoresque, hurle pourtant que c'est un ubris, un acte contre nature, et que tous les peuples de la Terre ne devraient pas troquer des millénaires de culture contre un mode de vie fondé sur le court-terme.

Je ne sais. Je suis dans l'incapacité de dire si c'est une tendance bénéfique au final ou si c'est une perte inestimable pour l'humanité, ni s'il y a moyen d'en modifier le cours ou pas du tout.

Cependant, concernant la première interrogation, je ne peux me résoudre à voir le monde de plus en plus uniforme sans réprimer un haut-le-coeur. Car avoir compris que tout le monde sur la Terre a les mêmes rêves, les mêmes peurs, les mêmes réflexes, cela ne rend la diversité des cultures que plus magnifique à mes yeux.


Sur ce, je vous souhaite à tous santé, prospérité, sérénité!
Ou comme on disait jadis: Aguilanneuf!

Adrien

6 décembre 2008

Le paradoxe de Tokyo

東京の或思い出。。。

東京の逆説

Tokyo est une pompe qui aspire et rebute. C'est le paradoxe de la mégapole. Lorsque j'y suis, je rêve de la fuir, lorsque je n'y suis pas je crêve d'y retourner.

Ville des possibles, tant fantasmée -autant au Japon qu'ailleurs- dont personne ne peut dire ce qu'elle est vraiment, tant chacun se bâtit sa propre image de la ville, au gré des expériences.

Comme Quetta, Téhéran, Lagos et bien d'autres, la pieuvre de béton repose sur de l'immaterialité: celle des rêves, des attentes et et des promesses d'avenir de millions d'âmes. Voilà sa raison, son coagulant, sa force fantôme. Voilà ce qui a fait d'un village de pêcheur au XVIIe siècle, une agglomération de près de 40 millions de personnes aujourd'hui.

Mais baste de lyrisme. Au final, Tokyo ça n'est rien d'autre que des gens qui vivent, qui essayent en tout cas. Et ils se foutent bien de savoir si la ville repose sur des siècles d'histoire ou pas.

Tokyo, pour moi, en cet fin d'été 2008: Des souvenirs à ressasser une dernière fois, pour mieux en ajouter de nouveaux.

Depuis une semaine que je suis ici, je marche sur les empreintes que j'ai laissé l'année passée. Une semaine que je revois des amis, que je retourne comme un pélerin sur les lieux où j'ai accroché un bout de ma vie, et que cette ville me tue à force de me faire radoter le passé.

On enterre bien les trésors

J'ai presque fini de distribuer les kilos de chocolat suisse. Le vin aussi, deux très bons bordeaux. On ne les trouve pas ici. Je prends une bouteille pour mon ex-amie. C'est le grand jour: je vais croiser enfin son regard depuis douze mois. Bien sûr notre relation amoureuse est enterré. Mais on enterre bien les trésors, pour les préserver du temps.

Autant l'intensité de notre lien n'a cessé de croître, et de plus en plus rapidement, pendant les 6 mois de mon premier séjour japonais, autant il n'a pas soutenu le choc que le hasard nous réservait pour la fin de mon voyage. Elle enceinte, ç'était un dilemne qui s'offrait à nous. Un choix à tout ou rien, qui nous révulsait. J'ai bien cru -la peur au ventre- que ce serait "tout". Finalement, elle m'a dit deux semaines après mon retour à Genève, que ç'était "rien".
Nous n'avons jamais cessé de se parler, ni pendant ni après. le dilemne et le lien tranchés, restait un traumatisme commun.

Et aujourd'hui elle est là, devant moi. De ces personnes avec qui les paroles sont superflues. Tant a déjà été dit. Sentiment rare. Doux et cru à la fois.

Elle me trouve "plus sérieux et plus large d'épaule". J'ai l'impression qu'elle est encore plus belle qu'avant. Peut-être parce qu'elle travaille moins qu'avant. Elle continue à pratiquer et à enseigner le Chi Gong (気功), héritage de la Chine où elle née (Un an qu'elle a reçu le passeport japonais)... mais elle a appris à parfois dire non aux magazines et au journalistes, friands de cette Chine que les japonais savent être une partie d'eux-même. Elle préféré le calme à la notoriété. Chacun sa manière de noyer ses douleurs de coeur: Moi en étudiant autant que je pouvais, elle en prenant plus le temps.

Sous la sérénité qui s'est déposée, persiste les rancunes passées mais surtout une attirance mutuelle... et c'est parfois difficile de résister. Mais nous aussi, nous arrivons à nous dire non. Et passons, comme elle dit, d'une relation entre un homme et une femme à une relation d'humain à humain.

L'épilogue de l'Odyssée

Une année a passé. Une année d'université, de rythme calibré, de routine qui m'a très vite absorbée. Il ne m'aura pas fallu moins de temps pour tourner la page de l'Odyssée eurasiatique. Pour commencer la deuxième distillation, prendre la mesure du ressac après la vague. Débrouiller les souvenirs, les émotions qui saturent. Un an assez triste, un peu robotique, mais qui devais se passer.

Ici au Japon, la boucle est en train de se boucler. J'écris avec mes pas de nouveaux horizons, tuant à jamais les précédents pour me libérer de leur torpeur.
Extrait d'un carnet, trois notes à la volée:

"Exorciser mes souvenirs. Démythifier le passé. Bousculer une image figée de Tokyo. Voilà à quoi je m'emploie depuis que je suis revenu. Travail de fourmi: revoir chaque personne qui a eu un rôle l'année dernière, refaire pas à pas les chemins d'antan, retrouver routes les rues que j'ai foulées.
La même chaleur inepte dans la ligne Marunouchi, les mêmes couleurs vindicatives et les odeurs âcres de Shibuya, la même poussière surrannée sur le palier de l'immeuble où je vivais, les mêmes tics et habitudes de mes connaissances. Je remplace tout par son identique, et ça donne quelque chose de différent."

Villes dans la ville

pas de centre-ville à Tokyo. Plutôt, une nébuleuse de centres. Chacun a sa spécificité, son caractère et sa tribu, des salarymen aux fêtent-tard(qui sont souvent les mêmes), des skaters aux amatrices de sacs de grands couturiers...
Malgré les cassandres qui croassent à la crise, les gratte-ciels continuent de pousser.

Yamanote-sen, Ôsaki station. La gare croît sans cesse. Comme ses grandes soeurs de Shinjuku, Shibuya, Ikebukuro, Shinagawa, Ginza, Ebisu, Ueno, elle devient tentaculaire. Etendant ses passerelles, ses tunnels, engendrant d'immenses protubérances de béton et d'acier, hôtels ou depâto - ces shoppings malls dont seul un étage m'intéresse, le sous-sol. Invariablement, c'est celui de l'alimentation. Milliers de poissons sous toutes les formes, galettes de riz (sembe) au shôyu, algues fraîches au kilo, okashi de tous les coins du Japon, algues frâiches au kilo, natto moisi à l'ancienne, dans sa gaine de paille de riz... pour ne citer que ceux qui me mettent le plus l'eau à la bouche!

Des montagnes de victuailles, à la limite de l'indécence. Bien trop cher pour moi de toute façon. Si j'y jette un coup d'oeil, ce n'est que pour m'ouvrir l'appétit avant de faire ma propre tambouille ...et ausi pour les dégustations qu'offrent les dévouées vendeuses derrière les étalages.

Les depâto ne sont jamais qu'une partie de ces gares au limites floues, bondées en permanence, propres à en être anonyme. Tout autour bourgeonnent bureaux, banques, restaurants, magasins de fringues sur dix étages, comme une onde qui se boursoufle au milieu des vieux quartiers d'habitation.


Vagant et comblé

A la première semaine, je remarque que je ne tiens pas mon budget. J'ai beau dormir chez Serge, compatriote genevois qui vit à Kawasaki, dans la périphérie ouest de Tokyo, et me nourrir essentiellement de nouilles au sarrasin dans des boui-boui, tout le reste coûte cher. Et ça n'est pas dû qu'au prix du métro.
Quand on revoit un ami, on boit un verre, et souvent plus qu'un seul. Yusuke, par exemple, un de mes plus chers amis nippons, rencontré à Ispahan(!), a beau connaître des Izakaya où l'on fait bombance et boit son soûl sans sortir trop de billets, le portemonnaie finit bien par maigrir. mais je préfère encore que ce soit lui plutôt que moi!
Et puis, je m'offre aussi des gâteries, comme mon nouvel appareil photo...


Deux semaines à Shikoku, seul partie du Japon où je n'avais encore mis les grols (excepté Okinawa), ne m'ont pas coûtés bien cher. Auto-stop, hospitalité, frugalité maximale, la recette est simple. Même dans des pays reglés au millimètre, il y a toujours une place pour le hasard, c'est à soi-même de la ménager. Ne pas hésiter à marcher dans la fange pour se laisser étonner par l'ouverture dont sont capables les gens. Le joyeau dans le lotus, en quelque sorte... mais sans trop de sérieux quand même!


Retour à Tokyo en squatteur amical

Pas une nuit de payée dans la capitale, j'ai assez de contact pour m'épargner cela. Mais comme il ne faut pas abuser, je mène une vie de tzigane urbain, m'établissant tousles 3-4 jours chez quelqu'un de différent.

Dans la "guesthouse" où je logeais l'année dernière, l'un de mes anciens collocataire connaît la cachette du trousseau magique et m'a ouvert une chambre que personne ne loue. Elle doit faire moins de six mètres carrés. Le lit sur lequel reste un futon râpé et la télé que je n'allumerai jamais laissent à peine assez de place pour mon sac à dos.

Au début de ce séjour, je me morfondais ne pas avoir pu arrêter le temps avec mon retour à Genève. Tous les changements par rapport à août 2007, déménagements d'amis, mariages ou même ruptures de contact, me rendaient malades. Aussi, voir mes anciens colloc encore ici m'avait presque soulagé.

Ils viennent tous d'autres régions du Japon. Restent ici malgré leur jobs souvent mal payés, pour économiser un peu et sûrement par attachement.
Comme au bon vieux temps, on s'encanaille à Shimokita, ses ruelles étroites et tortueuses, où le goût de la bière et du sake fait oublier l'odeur de graillon.

Pour mes derniers jours au Japon, c'est une amie qui m'invite à passer quelques nuits chez elle. Quand je l'ai rencontrée, il y a un an et demi, j'alignais à peine deux mots de japonais! A un ancêtre prêt, elle est une Edo-ko (il faudrait pour cela que ses 4 grands-parents soit nés à Tokyo) et sa famille habite une maison gigantesque au coeur de Sannô, quartier traditionnel du sud de Tokyo qui a vu naître nombre de poètes et d'écrivains.

Je dors sur la moquette du home cinema, grand comme cinq fois ma piaule à la guesthouse... et je me réveille chaque matin avec sa joue contre mon torse.


P.S. En prime, un petit morceau de musique. C'est de Yui, que tout le monde écoutait lorsque j'ai débarqué à Tokyo début mars 2007. Et il s'appelle... "tokyo"! Elle chante toujours avec sa gratte... une sorte de Carla Bruni japonaise... avec 20 ans de moins!


tilidom.com

(désolé pour la qualité du son, il est détérioré par les compressions qui me permettent de le publier)