30 octobre 2006

Automne en Kirghizie...


Ciao!

Me voila depuis quelques jours au Kirghizistan.
C'est l'automne, les abricotiers s'empourprent dans les collines du pays d'Osh et les bouleaux de Jacquemont font pleuvoir de l'or dans les Tien Shan.

Il commence a faire frisquet, oui, mais qu'est-ce que quelques couches d'habits supplementaires et les oreilles qui mordent un peu, en comparaison de cet eclatant denouement des saisons, tout en effusions de couleurs, cette tension tragique de la nature, et le desert inexorable de la neige qui descend chaque jours un peu plus pres des hommes?

Adieu la Perse
Si l'heritage sovietique m'accompagne indifferement entre Tadjikistan et Kirghizistan, il y a de serieuses difference d'un pays a l'autre, et pas seulement l'etat des routes(celles du Kirghizistan sont bien meilleures).De fait, de ce que je tout ce que je laissais au Tadjikistan, la separation la plus douloureuse ne fut pas celle d'avec ma copine, mais plutot celle d'avec la "Persitude".Le Tadjikistan, comme l'Afghanistan et bien sur l'Iran, est un pays de culture aryenne,i.e.iranienne("aryan" et "iran" ayant bien evidemment le meme racine, designant les indo-europeens de culture perse).
Avant l'arrivee russe en Asie Centrale, "Taj" designait les habitants persophones de ce grand "Turkestan"(en realite tout aussi perse que turcoman).Traditionnellement, ceux-ci vivent dans les villes de culture,Samarcande,Boukhara,Khiva,Mazar-e-sharif,Istaravshan,... ainsi que dans les montagnes du coin Sud-est jamais conquis par des Ouralo-altaiques, c'est-a-dire l'actuel Tadjikistan.Les Ouzbeks sont egalement des sedentaires, occupant les plaines agricoles fertiles et parlant une langue turcomane bien que n'ayant pas les traits mongoloides des Kirghizes et Kazakhs, qui jusqu'il y a recemment etaient integralement nomades.
Le decoupage administratif de l'Asie Centrale par Staline dans les annees trentes enterinne une division qui n'existaient pas jusqu'alors,chaque nationalite vivait selon son mode de vie mais sans limites formelles de terittoire.
La haine que se vouent pas mal d'Ouzbeks et de Tajiks vient indirectement de la(Les trois plus importantes villes tajikes,Samarcande,Boukhara et Khiva, se trouvent maintenant en republique d'Ouzbekistan), et directement de l'independance des republiques.Une independance dont on se passerait bien,ici... (Je vous epargne davantage de theories et d'analepses historiques, mais l'eclatement de l'URSS est a mon avis une connerie des plus supreme.Et pour les habitants de cette "nouvelle Asie Centrale, un coup dur du destin voire une tragedie)

Bref, en arrivant a Batken, bourgade du Sud-ouest du Kirghizistan, j'ai recu une bonne claque en matiere de communication.Aie!J'aurais du me mettre au russe plus tot... J'ai trop oublie le turc pour communiquer avec les kirghizes dont la langue est passablement differente de toute facon.
Sur que je me suis toujours debrouille dans les pays avec ou sans connaissance de la langue,d'ailleurs je ne connaissait pas un traitre mot de farsi en arrivant en Iran, pas plus que du turc en arrivant en Turquie,de l'Urdu a mon premier jour au pakistan ou du serbo-croate au debut de la traversee des Balkans.

Mais c'etait fichtrement comfortable de connaitre le farsi autant qu'on peux le connaitre apres six mois cumules en pays persophones!
Je me souviens que sur le lac de Van, en conduisant le bateau et discutant avec l'equipage, je m'etait maudit de pouvoir me debrouiller assez en turc pour pouvoir repondre au dix-quinze questions basiques,qui sont toujours les memes, et auxquelles on a affaire immanquablement plusieurs fois par jours.Meme chose apres deux mois d'Iran.
Mais lorsque je suis arrive a un niveau plus etoffe de farsi, j'ai realise que le stade superieur est plus agreable, permettant de vraies discussions de fond, et de poser soi-meme des questions bien ajustees.
Bon... je ne sais ce qui me restera du farsi si je ne retourne pas prochainement dans ces regions(il y a fort peu de chance), mais je garde a coeur le projet d'un jour en apprendre suffisament pour lire le Shahnama et les ghazals de Sad'i!!!


Et apres?
Certains me demandent quand est ce que je compte rentrer a Geneve...
Je comptais, le jour de mon depart, commencer "probablement" l'universite en octobre 2006.Ca me laissait jusqu'a un plus de 14 mois de voyage, une etendue immense d'inconnu qui me faisait fremir.
Il y a deux jours, 15 mois s'etaient ecoule depuis mon depart.

Ce que je n'ai pas dit a grand-monde, c'est que depuis deja fevrier-mars de cette annee, j'ai decide de m'octroyer une annee supplementaire.J'ai le vif sentiment que ce voyage est un moment unique de ma vie, et meme si rien ne m'empeche de repartir un jour(ce qui arrivera surement une de ces prochaines annees), c'est surement le seul de ce genre.Des lors, je desire le mener sans concession ni compromis(ce qui induit des sacrifices, et j'en ai deja fait beaucoup), l'achever entierement et revenir repu pour quelques annees au moins.
Le but reste le Japon, mais comme je voyage plus que prevu(depassant donc mon budget et depensant un argent qui n'est plus le mien) et que je me donne assez de temps, je compte trouver du travail au Japon, de quoi remplir un peu le protemonnaie, mais aussi parce que je sens que c'est une assez bonne maniere d'aborder ce pays ou a mon avis meme le boulot relevera du voyage, j'entends du voyage dans une autre facon de fonctionner et de penser.
Arrivee prevue au Japon:janvier ou fevrier 2007.Et si tout se passe comme je l'espere,a Geneve avant octobre 2007.
Voila, vous savez maintenant ce que j'ai neglige de vous dire depuis longtemps deja...


Tout le meilleur
Que votre ombre grandisse
A+
Adrien

15 octobre 2006

Horizons centrasiatiques

Ciao!

Encore a Doushambe, bien occupe entre visas et copine!

Il y a un an je venais d'arriver en Turquie apres deux bons mois de voyage dans les Balkans,de Ljubljana a Alexandropolis en passant par les inoubliables Sarajevo et Belgrade, entre autre merveilles...
On est en plein ramadan et j'etais arrive en Anatolie le jour de la mi-ramadan.C'est dire si je m'en souviens!J'avais decide, par respect et aussi juste "pour voir", de faire le jeu^ne.Deux choses m'avaient marque:Les nuits "bifides" parce qu'on se reveille a quattre heure du matin pour manger, apres 4 heures de sommeil(generalement), et que du coup on se recouche apres jusqu'a huit-neuf heure.Et l'atmosphere fraternelle, voire familiale, des repas qu'on m offrait.Excellente occasion de decouvrir la richesse et la diversite de la cuisine turque.

Cette annee je ne fais pas le ramadan. (pour ceux qui se poserait la question, apres un an de voyage en pays d'Islam, je ne suis pourtant pas musulman!) D'ailleurs a Doushambe peu de gens respectent le jeune...quant a moi, j'etais au pamir,ou a peu pres personne ne le fait, lorsqu'il a commence.



Plus exactement, le dernier jour avant le ramadan j'etais dans un village appele Roshan("la lumiere" en farsi).Arrive de Khorog apres un detour dans les Pamirs de l'Est, a peine descendu du bus j'ai entendu de la musique venant d'un jardin.je me suis approche discretement et j'ai ete comme happe par la foule qui m'a propulse au debut de la table, pres de la place des maries.Car evidemment c'etait un marriage.
Un marriage pamiri:des centaines d'invites(souvent une bonne moitie du village, et Roshan est un des plus grands villages du Badakhshan), deux jours de banquetterie, de festoiement et de musique live, et enfin des coutumes ismaeliennes particulieres, comme le passage d'un bol rempli d'une mixture quasi-secrete(generalement lait,miel,farine,entre autre...) des levres du marie a celle de la mariee,qui scelle l'union.
De par ma qualite d'etranger, double de mon origine suisse(l'imam des temps des musulmans Ismaeliens, c'est-a-dire le successeur en droite ligne du prophete Mohammed est ne et a grandi a Geneve), j'etais devenu VIP, ce qui ne les a pas empeche de me presser de danser.Je me suis execute avec plaisir: en adaptant un peu le pas afghan, en mettant un peu plus de manieres dans les mains, et en improvisant pas mal, on obtient grosso modo la danse des Pamirs de l'Ouest.
Mes hotes etaient tellement ravis qu'ils ont envoye l'arriere-grand-mere m'offrir une enorme paire de chaussettes multicolores.
Bien plaisant aussi de pouvoir parler en vrai farsi, car comme ici on parle une autre langue du groupe iranien, tres archaique(le dialecte Roshani du Shughnani), on apprend a l'ecole un farsi tres litteraire,contrairement au "tajiki" sorte d argot mine par 20% de mots russes.
J'ai accepte de bon coeur le verre d'arak que le Khalifat(guide religieux du village) m'a propose!Excellent exemple de la tolerance des Ismaeliens...
Le lendemain, lorsque j'ai vu quelques hommes soigner leur gueule de bois par quelques bols de vodka, j'ai compris que le ramadan par ici est surtout symbolique...

Moi je m'etais modere, et j etais d'aplomb pour attaquer a pied la vallee de Bartang(de bar: raide et tang: etroit), juste le coeur un peu serre de quitter cette famille(celle de la mariee) adorable qui m'avait presque adopte.Mais un bon shir chai me consola bien vite: the, lait, sel, une grosse noix de graisse a faire fondre dedans, puis rompre une galette dedans, avant d'en repecher les morceaux.Le moins qu'on puisse dire c'est que c'est lourd mais a cette altitude on y prend gout!!!

Bartang prend parfois des airs de Chitral, avec cette muraille de montagnes de chaque cote(deux cretes qui depassent souvent 6000m.), cette mineralite brute et ces villages poses dans un meandre avec l'eclat detonnant d'un oasis.Mais c'est plus raide, en effet.Et les montagnes sont beaucoup plus fantaisistes: Chamarres de beiges, faces entierement rouges, degrades mauves et ocres, veines noires, et pointes bleues de neiges eternelles.

Avec ses 200 kilometres de long, je ne suis pas arrive jusqu'au bout de la Bartang en cinq jours de marche et de camion(a peine plus rapide).Mais si j'etais alle plus loin, je serais arrive au lac Sarez, qui un jour-nul ne sait quand, tavakalt'e Khoda- se liberera de la gangue d'eboulis qui l'a forme accidentellement au debut du siecle, et inondera toute la vallee de l'Oxus jusqu'a Samarcande.Plus loin encore, je serais arrive sur le haut-plateau des Pamirs de l'Est,dont je revenais par cette route qu'on a baptise Pamir Highway.
Une route bitumee il y a deja 70 ans de cela par le prevoyant gouvernement sovietique, mais qui depuis l'"independance" n'est plus entretenue, si bien qu'elle se disloque et se croute sous les roues des puissants Kamaz.

La-bas, a ce qui semble etre un des bouts du monde, il y a une petite ville sovietique ou les poteaux electriques remplacent les arbres qui n'existent pas dans cette region du monde, ou des Kirghizes en kalpak incongru mangent du yak dans des maisons aux murs blancs lepreux... C'est Murghab.

Murghab... et la steppe immense tout autour.
Une ville la ou il ne devait pas y en avoir, la ou le nomadisme est la seule survie possible.Ne au 19e comme poste militaire pour garder ce coin de Russie si strategique, elle a prospere sous l'URSS qui avait interet a "montrer l'exemple" aux voisins chinois,afghan,et britannique(puis pakistanais).Mais apres l'implosion de l'union,Murghab qui etait sous perfusion de Moscou via Osh(au Kirgizistan maintenant,un des plus important bazar d'Asie Centrale), s'est retrouvee livree a elle-meme dans la solitude des teresken et la megalomanie du climat d'un haut-plateau desert a 4000m.d'altitude.
Les Kirghizes n'y vivent pour la plupart qu'en hiver, estivant a la belle saison dans les jailoo("paturages")avec les yourtes.
Lorsque j'etais la-bas, fin septembre, c'etait precisement la fin de l'estive.Apres un peu de route a pied ou perche sur un camion, arrivant au hameau de Subashi(ou on egorgeait et depecait 11 yaks en prevision de l'hiver), puis en continuant dans le chaos des croutes de sel et des boursouflures de touffes d'herbes,a me coincer le pied tous les 50 metres dans ces ruisseaux de tourbiere presque souterrains,... j'ai enfin trouve une yourte.Une seule.C'etait un jeune couple avec ses deux petites filles, dont la plus agee-5 ou 6 ans-m'offrit le the avec la main sur le coeur comme le veut la tradition.
Requinque par la petite famille Kirghize, je repartis pour faire la vingtaine de kilometres qui me separait de Murghab... juste a temps pour voir un immense mur noir s'avancer vers moi.Ca prenait toute la place, du sol jusqu'au ciel, et reduisait progressivement l'horizon...au loin, mais s'avancant,et s'avancant tres vite.je suis reste ebahi quelques secondes avant de realiser que c'etait une tempete.
Une tempete givrante,une sorte de trou noir ambulant, qui opacifiait tout comme si les montagnes disparaissaient apres.A l'interieur:vents anarchiques, grele, et temperatures polaires.
Je me suis mis en boule,la tete entre les genoux, en essayant de proteger mes oreilles et mon visage...

Ca a passe.Assez vite meme.Je tenais encore en un morceau, mais le paysage avait change:la steppe et les montagnes etaient couvertes d'une mince et coriace couche de neige, et le calme etait encore plus assourdissant qu'avant.


...arrive a Murghab a temps pour le shir chai de l'apres-midi, dans la bicoque de mes hotes Wakhi.
Et puis le lendemain je suis revenu en auto-stop a Khorog, c'etait quelques jors avant d'arriver a Roshan et d'amorcer le retour(pas en avion cette fois, j'ai bien dis que c'etait une exception) vers Doushambe.
La capitale, j'en partirai sous peu.J'ai en poche mes visas pour la Kirghizie et l'Ouzbekistan(tres dur a avoir depuis le massacre d'Andijan l'annee derniere);je suis pret pour cette derniere partie de l'odyssee centrasiatique(quelques mois encore)!

Bonne rentree aux universitaires, tout particulierement a certains camarades voyageurs qui retournent desormais a la morosite genevoise.

Bisous
Adrien