23 janvier 2007

Entre Tibet et Taklamakan















Bonjour!

Si vous arrivez a lire ce post,remerciez les Dieux!
Je suis en Chine depuis une semaine environ,et etonnament internet y est tres aleatoire.Depuis un mois environ,les sites etrangers prennent un temps incroyable a s'ouvrir,et generalement ne s'ouvrent tout simplement pas.La faute,dit-on,a un tremblement de terre qui a secoue Taiwan et le Sud de la Chine fin decembre.Je doute un peu de cette version(officielle), mais je garde mon avis pour moi car je sens que sinon ce post ne va pas passer la censure.

Depuis mon envoi, j'ai fait un bon millier et demi de kilometres.Je suis maintenant au coin Sud-Ouest du Xinjiang(Turkestan oriental), et sur le point d'entrer dans "l'autre Tibet", loin au Nord de Lhassa,la province du Qinghai(en tibetain:Amdo), aussi grande que le Tibet du decoupage administratif chinois, mais meconnue.

De Bichkek a Kashghar, il n'y a pas trois cols, mais huit!Le temps est exceptionnelement clement cette annee ici aussi(mais pas autant que chez vous:il neige presque toutes les semaines a Bichkek depuis debut novembre...on appelle ca clement la-bas) et en trois jours a peine je les ai tous passe, la plupart en Kamaz, ces puissants camions sovietiques.

Ce fut sans doute une des routes les plus magnifiques du voyage(Je ferai peut-etre un post ulterieurement avec un classement des plus belles routes, des meilleurs bazars etc.),au paysage mineral epoustouflant.

A Kashghar,je refis connaissance avec la Chine(que j'ai vu partiellement une premiere fois en 2002).Les Chinois n'ont pas changes:Sales,bruyants,nombreux.A la frontiere,tandis qu'on s'assurait que je n'etais pas porteur du SRAS, je vis un soldat se moucher dans la main et etaler sa morve sur le mur.
Mais l'adaptation se fait en douceur: Le Xinjiang, plus grande province de Chine -39 fois la Suisse!-, est peuplee originellement d'Ouighours, dont la langue s'avere assez proche de l'ouzbek pour que je puisse communiquer sans probleme.Avec les Chinois c'est une autre paire de manche:il comprennent a peine le langage gestuel.

Les Ouighours ont comme les Ouzbeks,des facies plus indo-europeens que mongoloides,un gout prononce pour la bonne chere, un talent certain pour la musique et la danse, et un ancrage inebranlable dans l'Islam et les traditions sans toutefois etre extremiste.

Comme les Turcs et les Ouzbeks, ils parlent une langue turcomane(altaique) mais reposent sur un fond indo-europeen millenaire(qui leur donne cette urbanite, ce raffinement de sedentaire qui a du temps a passer a composer des poemes entre deux recoltes, et ce melange dans le sang rendant certaines filles si belles), et ont subi une forte influence arabisante et musulmane.

Trois peuples qui se ressemblent,et ce n'est pas pour rien: L'Anatolie, la Transoxiane et le bassin du Tarim sont autant de zones de civilisations immemoriales, dont les couches de peuplement turco-mongoles ne sont que les dernieres d'une longue serie.

Avant l'Islam, la ou se trouve les actuels Ouzbekistan et Xinjiang, le zoroastriannisme puis le bouddhisme fleurirent, et on y parlait sogdien, la lingua franca de la route de la soie.

DE Kashghar, j'ai poursuivi en longeant le Taklamakan (deuxieme plus grand desert du monde)par la route de la soie du Sud, passant par Yarkand et l'immense bazar de Khotan, jusqu'ici, Charklik, a l'autre bout du Xinjiang.
Demain je dirai adieu a la sveltesse des dune du "desert mouvant" ou l'on apercoit parfois des caravanes, des vraies, faites de dizaines de chameaux de Bactriane,vrais monstres prehistoriques a l'air debonnaire.A moi le haut plateau tibetain!En janvier!

Que votre ombre grandisse, et les arbres aussi.
A bientot lorsqu'internet le voudra bien.
Adrien

12 janvier 2007

Necrologie

Jean-Pierre Vernant est mort hier a l'age de 93 ans.
A present nous faisons face au vertige du vide de sa disparition et de celle en juillet dernier de Pierre Vidal-Naquet.

Nous sommes a jamais redevable a Vernant de son courage de resistant,pour nous avoir appris a voir la Grece antique avec les yeux des Grecs anciens.

Parce que nous sommes nes dans la culture de l'Europe, nous devons apprendre la Grece.Les arbres ne poussent pas sans leurs racines.

"D'une certaine facon, le temps par la memoire est aboli, alors meme qu'il est retrace au fil de la narration.Aboli et represente[...]"(L'Univers, les dieux, les hommes)

8 janvier 2007

2006-anecdotes

Bonne annee!
Meilleure voeux pour 2007!Amour,sante,serenite!

2006:1er janvier a Zahedan(Iran),31 decembre a Bichkek... une annee entiere passee sur la route.

Le Japon approche: Cette semaine commencera la descente vers le bassin du Tarim,c'est-a-dire la Chine,et puis les etapes s'enchaineront jusqu'a l'archipel.

Aujourd'hui je suis a Bichkek,j'ecris un post qui a un peu tarde,et m'efforce de ne pas prendre trop le ton de dicter un testament de ce que laisse ici...carnet,copine,et l'Asie Centrale ex-sovietique.

Bichkek aura ete,etonnament(il aurait ete plus logique que ce soit Osh,le carrefour de l'Asie centrale),plus qu'une etape,presque un refuge.

Mais c'est aussi malheureusement la premiere fois du voyage qu'on me vole quelque chose: Mon dixieme carnet Moleskine.Depuis le 28 juillet(2005), j'ai ecrit tous les jours(a de rares exceptions) dans ces petits carnets au grain fin et a la couverture noire rigide.Nulla dies sine linea disait Pline!


Itineraires,anecdotes,cartes et plans,reflexions,dessins ou croquis,poemes,notes linguistiques,botaniques,ethnologiques... C'est un condense du voyage et les documents les plus importants apres mon passeport.


Dans le marshrutka(minivans qui servent de transport public) archi-bonde(tout-le-monde etait debout),un voleur a la tire a pris le carnet pour un portefeuille, et me l'a subtilise.Le comble, c'est que je l'ai senti et que j'ai vu qui c'etait.Je lui ai somme de me le rendre, tate ses poches,ses mains,par terre, mais c'etait deja "sans espoir"comme on me le repete constamment.L'un de ses complices me poussa,tenta de me provoquer,les autres passagers s'en foutaient et ralaient, et le chauffeur etait peut-etre de meche.Il fallait que je descende a cet arret... j'ai du sauter du minibus en marche.


Le lendemain j'ai cherche mon carnet dans la ville, mais c'est plus difficile que de trouver une aiguille dans une botte de foin(pour cela il faut y mettre le feu,etaler les cendres et passer un aimant au-dessus.)
A l'heure qu'il est le carnet est surement deja decompose par la neige et la pollution...Peut-etre le retrouvera-t-on dans des annees, fossile congele comme Louis de Funes?

Si je n'oublie pas mon itineraire ou les principales aventures, j'ai perdu en revanche toutes ces anecdotes qui s'effacent de ma memoire l'une apres l'autre, que j'aime relire apres coup et qui donne a chaque jour de voyage sa propre couleur, sa tournure.

Le mois ouzbek.

Avec ce carnet a disparu tous les ecrits de mon sejour en Ouzbekistan.Mais je n'oublierai pas ce pays marquant et incourtounable de l'Asie Centrale.Un mois d'Ouzbekistan,c'est bien assez pour moi.Avec plus j'aurais fini par etre degoute par le mercantilisme ambiant(le symptome le plus criant d'une societe qui s'est "ouverte" au tourisme),et l'esprit policier paranoiaque des institutions.
Pour ce dernier point cependant, j'ai eu plus de peur que de mal.La loi ouzbeke stipule que tout voyageur doit s'inscrire a l'OVIR(antenne du KGB)a chaque deplacement-ce qui est absolument deconseille,couteux voire dangereux.L'alternative est de dormir dans des hotels agree par l'etat et qui delivre aux etrangers des "registratsiya",systeme qui permet a Karimov de pomper un gros pourcentage des recettes dues au tourisme.

Me sentant peu concerne par ces tracas administratifs,j'ai souvent accepte l'invitation de familles ouzbekes(qui apres les Pamiris, sont les plus hospitalieres d'Asie Centrale).Resultat:j'avais tres peu de registratsiya,et je commencais a apprehender le passage de la frontiere,a entendre a quel point les autres etrangers que j'ai rencontres etaient terrorises a l'idee de ne pas en avoir recolte partout...

La verite, c'est qu'il suffit de sourire, d'etre aimable et obligeant.Avec mon sac de 6 kilos(pas grand-chose a fouiller) et mon air plutot honnete,on m'a meme laisse passer avec un certain respect.La nature profonde ouzbeke avait pris le pas sur les froides manieres sovietiques des douaniers lorsque je leur ai dit au-revoir.Ils n'avaient meme pas demande a voir mes registratsiya!(et heureusement!)

Depuis la Ferghana kirghize, retour a Bichkek en repassant les Tian Shan,une route en colimacon traversant deux cols de plus de 3000m.,qui prend au minimum 12 heures.J'ai eu de la chance:rapidement negocie avec un chauffeur qui m'a fait un bon prix tant il etait presse,et mieux encore:sa voiture etait une nouvelle Volga.La plus confortable des voitures sovietiques/russes,une des plus puissantes aussi, qui file droit sur la glace la ou les Audi,Mercedes et Daewoo patinent ou vont s'ecraser fond sur fond dans un ravin.

Comme pour toutes le routes de haute montagne d'Asie Centrale, pas de bus ou de minivan, mais seulement des voitures privees qui partent des qu'elles sont pleines(meme systeme en Afghanistan)...et dont les prix sont extremement fluctuant.

Dans ces cas-la, je prie pour qu'il y ait des Volga.
La pire des routes d'Asie Centrale,a mon avis, est celle qui relie le Nord du Tadjikistan a Doushambe:15 a 20 heures de route defoncee dans les luubres montagnes Fan(Obispo a fait une chanson sur ce theme,je crois;).La conjecture est telle qu'il est impossible de ne pas passer de nuit sur au moins l'un des deux cols.Faute de bornes kilometriques, on estime la distance parcourue au nombre de pierres tombales qui jalonnent la route.Je me souviendrai longtemps de cette nuit d'octobre on l'on mit cinq heures a passer le col de l'Anzob,deja sous des metres de neiges.

J'avais eu la sensation amere de revivre la deroute du Lorestan,en janvier dans les Zagros(Iran), mais cette fois-ci il y avait de la compagnie:Kamaz rugissants de leur voix au diesel,a un pouce de faire le grand saut-car la falaise est sans fin et la piste trop etroite-, geants moustachus en chapan,braillants dans des dialectes tadjiks, et ces equipees incongrues que nous tous formions spontanement,prenant en main une voiture au hasard et la poussant sur la glace en pente jusqu'a epuisement.

Passer un col est toujours une aventure imprevisible.Aucun probleme dans la Volga jusqu'a Bichkek, mais je reste surpris par la maniere impromptue qu'on les chauffeurs dans cette region du monde, de s'arreter brusquement au bord de la chaussee pour piquer un roupillon sur leur volant, et celle des passagers locaux de faire immediatement de meme!

Des cols, il m'en reste quattre jusqu'a Kashghar.Fasse le ciel que l'hiver soit clement!

Que votre ombre grandisse,et les jours aussi!
Bonne annee encore.
Adrien