6 décembre 2008

Le paradoxe de Tokyo

東京の或思い出。。。

東京の逆説

Tokyo est une pompe qui aspire et rebute. C'est le paradoxe de la mégapole. Lorsque j'y suis, je rêve de la fuir, lorsque je n'y suis pas je crêve d'y retourner.

Ville des possibles, tant fantasmée -autant au Japon qu'ailleurs- dont personne ne peut dire ce qu'elle est vraiment, tant chacun se bâtit sa propre image de la ville, au gré des expériences.

Comme Quetta, Téhéran, Lagos et bien d'autres, la pieuvre de béton repose sur de l'immaterialité: celle des rêves, des attentes et et des promesses d'avenir de millions d'âmes. Voilà sa raison, son coagulant, sa force fantôme. Voilà ce qui a fait d'un village de pêcheur au XVIIe siècle, une agglomération de près de 40 millions de personnes aujourd'hui.

Mais baste de lyrisme. Au final, Tokyo ça n'est rien d'autre que des gens qui vivent, qui essayent en tout cas. Et ils se foutent bien de savoir si la ville repose sur des siècles d'histoire ou pas.

Tokyo, pour moi, en cet fin d'été 2008: Des souvenirs à ressasser une dernière fois, pour mieux en ajouter de nouveaux.

Depuis une semaine que je suis ici, je marche sur les empreintes que j'ai laissé l'année passée. Une semaine que je revois des amis, que je retourne comme un pélerin sur les lieux où j'ai accroché un bout de ma vie, et que cette ville me tue à force de me faire radoter le passé.

On enterre bien les trésors

J'ai presque fini de distribuer les kilos de chocolat suisse. Le vin aussi, deux très bons bordeaux. On ne les trouve pas ici. Je prends une bouteille pour mon ex-amie. C'est le grand jour: je vais croiser enfin son regard depuis douze mois. Bien sûr notre relation amoureuse est enterré. Mais on enterre bien les trésors, pour les préserver du temps.

Autant l'intensité de notre lien n'a cessé de croître, et de plus en plus rapidement, pendant les 6 mois de mon premier séjour japonais, autant il n'a pas soutenu le choc que le hasard nous réservait pour la fin de mon voyage. Elle enceinte, ç'était un dilemne qui s'offrait à nous. Un choix à tout ou rien, qui nous révulsait. J'ai bien cru -la peur au ventre- que ce serait "tout". Finalement, elle m'a dit deux semaines après mon retour à Genève, que ç'était "rien".
Nous n'avons jamais cessé de se parler, ni pendant ni après. le dilemne et le lien tranchés, restait un traumatisme commun.

Et aujourd'hui elle est là, devant moi. De ces personnes avec qui les paroles sont superflues. Tant a déjà été dit. Sentiment rare. Doux et cru à la fois.

Elle me trouve "plus sérieux et plus large d'épaule". J'ai l'impression qu'elle est encore plus belle qu'avant. Peut-être parce qu'elle travaille moins qu'avant. Elle continue à pratiquer et à enseigner le Chi Gong (気功), héritage de la Chine où elle née (Un an qu'elle a reçu le passeport japonais)... mais elle a appris à parfois dire non aux magazines et au journalistes, friands de cette Chine que les japonais savent être une partie d'eux-même. Elle préféré le calme à la notoriété. Chacun sa manière de noyer ses douleurs de coeur: Moi en étudiant autant que je pouvais, elle en prenant plus le temps.

Sous la sérénité qui s'est déposée, persiste les rancunes passées mais surtout une attirance mutuelle... et c'est parfois difficile de résister. Mais nous aussi, nous arrivons à nous dire non. Et passons, comme elle dit, d'une relation entre un homme et une femme à une relation d'humain à humain.

L'épilogue de l'Odyssée

Une année a passé. Une année d'université, de rythme calibré, de routine qui m'a très vite absorbée. Il ne m'aura pas fallu moins de temps pour tourner la page de l'Odyssée eurasiatique. Pour commencer la deuxième distillation, prendre la mesure du ressac après la vague. Débrouiller les souvenirs, les émotions qui saturent. Un an assez triste, un peu robotique, mais qui devais se passer.

Ici au Japon, la boucle est en train de se boucler. J'écris avec mes pas de nouveaux horizons, tuant à jamais les précédents pour me libérer de leur torpeur.
Extrait d'un carnet, trois notes à la volée:

"Exorciser mes souvenirs. Démythifier le passé. Bousculer une image figée de Tokyo. Voilà à quoi je m'emploie depuis que je suis revenu. Travail de fourmi: revoir chaque personne qui a eu un rôle l'année dernière, refaire pas à pas les chemins d'antan, retrouver routes les rues que j'ai foulées.
La même chaleur inepte dans la ligne Marunouchi, les mêmes couleurs vindicatives et les odeurs âcres de Shibuya, la même poussière surrannée sur le palier de l'immeuble où je vivais, les mêmes tics et habitudes de mes connaissances. Je remplace tout par son identique, et ça donne quelque chose de différent."

Villes dans la ville

pas de centre-ville à Tokyo. Plutôt, une nébuleuse de centres. Chacun a sa spécificité, son caractère et sa tribu, des salarymen aux fêtent-tard(qui sont souvent les mêmes), des skaters aux amatrices de sacs de grands couturiers...
Malgré les cassandres qui croassent à la crise, les gratte-ciels continuent de pousser.

Yamanote-sen, Ôsaki station. La gare croît sans cesse. Comme ses grandes soeurs de Shinjuku, Shibuya, Ikebukuro, Shinagawa, Ginza, Ebisu, Ueno, elle devient tentaculaire. Etendant ses passerelles, ses tunnels, engendrant d'immenses protubérances de béton et d'acier, hôtels ou depâto - ces shoppings malls dont seul un étage m'intéresse, le sous-sol. Invariablement, c'est celui de l'alimentation. Milliers de poissons sous toutes les formes, galettes de riz (sembe) au shôyu, algues fraîches au kilo, okashi de tous les coins du Japon, algues frâiches au kilo, natto moisi à l'ancienne, dans sa gaine de paille de riz... pour ne citer que ceux qui me mettent le plus l'eau à la bouche!

Des montagnes de victuailles, à la limite de l'indécence. Bien trop cher pour moi de toute façon. Si j'y jette un coup d'oeil, ce n'est que pour m'ouvrir l'appétit avant de faire ma propre tambouille ...et ausi pour les dégustations qu'offrent les dévouées vendeuses derrière les étalages.

Les depâto ne sont jamais qu'une partie de ces gares au limites floues, bondées en permanence, propres à en être anonyme. Tout autour bourgeonnent bureaux, banques, restaurants, magasins de fringues sur dix étages, comme une onde qui se boursoufle au milieu des vieux quartiers d'habitation.


Vagant et comblé

A la première semaine, je remarque que je ne tiens pas mon budget. J'ai beau dormir chez Serge, compatriote genevois qui vit à Kawasaki, dans la périphérie ouest de Tokyo, et me nourrir essentiellement de nouilles au sarrasin dans des boui-boui, tout le reste coûte cher. Et ça n'est pas dû qu'au prix du métro.
Quand on revoit un ami, on boit un verre, et souvent plus qu'un seul. Yusuke, par exemple, un de mes plus chers amis nippons, rencontré à Ispahan(!), a beau connaître des Izakaya où l'on fait bombance et boit son soûl sans sortir trop de billets, le portemonnaie finit bien par maigrir. mais je préfère encore que ce soit lui plutôt que moi!
Et puis, je m'offre aussi des gâteries, comme mon nouvel appareil photo...


Deux semaines à Shikoku, seul partie du Japon où je n'avais encore mis les grols (excepté Okinawa), ne m'ont pas coûtés bien cher. Auto-stop, hospitalité, frugalité maximale, la recette est simple. Même dans des pays reglés au millimètre, il y a toujours une place pour le hasard, c'est à soi-même de la ménager. Ne pas hésiter à marcher dans la fange pour se laisser étonner par l'ouverture dont sont capables les gens. Le joyeau dans le lotus, en quelque sorte... mais sans trop de sérieux quand même!


Retour à Tokyo en squatteur amical

Pas une nuit de payée dans la capitale, j'ai assez de contact pour m'épargner cela. Mais comme il ne faut pas abuser, je mène une vie de tzigane urbain, m'établissant tousles 3-4 jours chez quelqu'un de différent.

Dans la "guesthouse" où je logeais l'année dernière, l'un de mes anciens collocataire connaît la cachette du trousseau magique et m'a ouvert une chambre que personne ne loue. Elle doit faire moins de six mètres carrés. Le lit sur lequel reste un futon râpé et la télé que je n'allumerai jamais laissent à peine assez de place pour mon sac à dos.

Au début de ce séjour, je me morfondais ne pas avoir pu arrêter le temps avec mon retour à Genève. Tous les changements par rapport à août 2007, déménagements d'amis, mariages ou même ruptures de contact, me rendaient malades. Aussi, voir mes anciens colloc encore ici m'avait presque soulagé.

Ils viennent tous d'autres régions du Japon. Restent ici malgré leur jobs souvent mal payés, pour économiser un peu et sûrement par attachement.
Comme au bon vieux temps, on s'encanaille à Shimokita, ses ruelles étroites et tortueuses, où le goût de la bière et du sake fait oublier l'odeur de graillon.

Pour mes derniers jours au Japon, c'est une amie qui m'invite à passer quelques nuits chez elle. Quand je l'ai rencontrée, il y a un an et demi, j'alignais à peine deux mots de japonais! A un ancêtre prêt, elle est une Edo-ko (il faudrait pour cela que ses 4 grands-parents soit nés à Tokyo) et sa famille habite une maison gigantesque au coeur de Sannô, quartier traditionnel du sud de Tokyo qui a vu naître nombre de poètes et d'écrivains.

Je dors sur la moquette du home cinema, grand comme cinq fois ma piaule à la guesthouse... et je me réveille chaque matin avec sa joue contre mon torse.


P.S. En prime, un petit morceau de musique. C'est de Yui, que tout le monde écoutait lorsque j'ai débarqué à Tokyo début mars 2007. Et il s'appelle... "tokyo"! Elle chante toujours avec sa gratte... une sorte de Carla Bruni japonaise... avec 20 ans de moins!


tilidom.com

(désolé pour la qualité du son, il est détérioré par les compressions qui me permettent de le publier)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le Japon:

la contemplation de l'avenir
qui se marie avec le passé,
et semble ne jamais féblir
ni sur le présent s'arrêter...

Y mettre les pieds une fois,
c'est y laisser un bout de soi.