4 février 2007

Soleil d'hiver a Lhassa


Lhassa,Tibet occupe.

Tashi delek!

Le Tibet en hiver,c'est le pied!Je m'y plait tellement que j'ai un pincement au coeur a l'idee de quitter Lhassa.Mais j'ai encore quelques centaines de kilometres de route tibetaine(entre cinq et quinze jours) devant moi...et etant illegal dans cette province,il y a un risque(accru en allant vers l'Est) que l'on m'arrete et me renvoie a Lhassa.

J'ai parfois encore de la peine a realiser ou je suis.J'ai tellement reve du Tibet...que je n'ai jamais pense serieusement a y passer durant ce voyage.Et il y a deux semaines encore,je n'imaginais pas aller jusqu'a Lhassa.Voila comment c'est arrive:

...

Annoncer dans mon dernier post que j'allais arriver sur le plateau tibetain le lendemain,c'etait vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tuer:J'ai moisi quatre jours a Charklik,bled ouighour noyaute par une colonie chinoise, attendant le depart d'une jeep qui pouvait etre imminent.Nous etions deux passagers,le chauffeur en voulait sept ou huit.
Vous ne connaissez probablement pas cette sensation de leger excitement un peu impatient lorsqu'on sait que ce peut etre a tout moment, ou l'on hesite a s'eloigner de plus de vingt metres du vehicule ou du chauffeur,... et qu'a la fin de la journee,ce dernier apres une centieme partie de mah-jong, siffle entre ses dents carriees:"Mingtian!"(demain) Mingtian toujours invoque, mingtian tout ira mieux, mingtian n'arrive jamais!Apres un an et demi de voyage et avoir laisse derriere moi des pays comme l'Afghanistan,je ne pensais pas que cela m'arriverais encore...

Au matin du quatrieme jour, je m'appretais a repartir en arriere lorsque je vis ce vilain mettre la derniere main au paquetage sur le toit de sa jeep.Comme je m'y attendais,huit passagers etaient arrive d'un seul coup...nous etions dix.

Six heures de route entre desert et montagnes qui me rappela fichtrement les voyages en pick-up baloutch, dont on sort la moitie du corps paralysee par les positions inconfortables.Six heures de route epoustouflante de brutalite minerale,passant de dunes de sables a canyons demesures en roulant sur des fleuves geles,avant d'attaquer des cotes a donner le vertige, passant du niveau de la mer a presque 3000m. d'altitude.

Ce n'etait pas gagne pourtant:Depose dans un hameau plus perdu que Piogre,il fallut bataille pour atteindre un village juste un peu plus gros,quoique tout aussi artificiel-vivant de l'extraction du petrole-, en province d'Amdo/Qinghai.Je du y passer deux nuits avant qu'un bus parte pour Golmud vers le sud.

Paysages de haut-plateau orange,brule par le vent,perpetuellement renouvele par l'erosion.Je ne m'en lassais pas,mais la nuit tombee il n'y eu plus que les etoiles a admirer.Difficile tache que de dormir.L'interieur de ce genre de bus est divise en trois ranges de couchettes sur deux etages,tellement etriquees que l'on a tous la tete dans les pied de son voisin,et concu specialement pour que l'on ne perde pas une once des secousses.Mais cela passe encore.S'il y a deux choses en revanche qui me font deconseiller absolument les bus chinois,ce sont la fumee et la television.

Les Chinois,comme les Turcs sont un peuple fumeur.La difference c'est que les cigarettes chinoises sont d'une toxicite inegalee.A Kashghar, ils raffolent des "pilot" kirghizes,c'est dire si les leurs sont degueulasses!Ils n'ont aucun scrupules a fumer dans un bus ferme et a cote d'enfant ou de jeunes meres.En Chine la notion de non-fumeur n'existe simplement pas.

Quant a la television,qu'elle diffuse de la techno chinoise(carrement arythmique!) ou des sketch dont je ne saisis goutte sauf que cela crie du debut a la fin, elle ne s'eteint jamais.

Le train du toit du monde

De Golmud je n'ai pas vu grand-chose(je n'ai rien rate parait-il):Apres treize heures de route,le bus s'arreta pile devant la gare.Dix minutes plus tard, a 4h10 du matin, j'etais dans le train le plus haut du monde, en route pour Lhassa.

Un vrai train suisse!Distributeur personnel d'oxygene pour les petites natures(On grimpe jusqu'a 5072 metres d'altitude!!!), trilingue chinois-tibetain-anglais, bande-annonces comme a la bourse qui donne l'altitude,la froidure et la vitesse(une moyenne de 95km/h.), triple lavabo a chaque extremite de wagon...

Seulement voila,les passagers,eux,ne sont pas Suisses.A l'arrive, le sol est jonche d'une epaisseur de detrituts,tous les lavabos du train sont bouches et la porte des toilettes,meme fermee,suinte.

Les quatorze heures de trajet se font principalement de jours et c'est tant mieux.Les enormes troupeaux de yaks deviennent communs tant ils y en a,mais on comptent encore les antilopes sauvages ou les aigles du Tibet.Le plateau est deja a 5000m mais cela ne decourage pas les chaines de montagnes qui montent encore d'un ou deux kilometres vers le ciel.Les lacs,meme de la taille de celui de Neuchatel,gelent integralement...mais il fait grand beau!

La mort par etouffement

Aussi plaisant qu'il soit, ce train n'est pas pour rien dans le pillage et la defiguration acceleree du Tibet.J'ai pleure de joie en voyant le Potala, mais si j'avais encore des larmes elles seraient plutot de tristesse pour la destruction du Tibet et des Tibetains.

Apres avoir deux decennies(1959 a 1976) durant, massivement tue et detruit, l'empire du milieu prefere maintenant d'autres methodes pour anihiler definitivement les Tibetains.La mort du Tibet sera par etouffement et momification.

La colonisation des territoires "chinois" de l'Ouest(Turkestan oriental et Tibet) n'a vraiment commence qu'il y a quinze ou vingt ans, et s'est furieusement acceleree depuis 2002.A grands coups promotionnels de privileges, d'exemption de taxes, de logement et de travail deja prets, de salaires doubles par rapport a l'Est, le gouvernement est en train de noyer les populations locales sous un flot de Han.

A l'ouest de Lhassa,autrefois forets de peupliers nains entres les meandres du Kyichu, une banlieue grise de centaines de logements identiques en rang de bataillon a pousse en quelques mois.Le meme train qui a amene les materiaux transporte desormais les colons qui y demenage.


La majorite des Chinois n'aiment pas la terre tibetaine qui leur est inhospitaliere, et ceux qui viennent s'installer ici ne le font pas bonte de coeur, mais parce qu'il ont de la peine a joindre les deux bouts dans leur Est natal.

Si le Tibet redevenait independant aujourd'hui,il se viderait de sa population chinoise encore plus vite qu'elle est arrivee.Pensez a un pays comme le Kazakhstan a la fin des annees '80:En plein URSS dont personne n'envisageait l'implosion et peuple a 70% de non-Kazakh.En 1991(contre son gre,tant plus aucun Kazakh ne revait d'independance!),il devint independant et en l'espace de quelques annees, des centaines de milliers de Russes le quitterent,inversant la proportion ethnique.
(Pour etre precis le Tibet souffrerait plutot la comparaison avec l'Ouzbekistan qui est reste tres enracine dans sa culture et sa religion.)

Le revers de la medaille:Une grande partie de Tibetains partiraient pour Pekin,Shanghai et Canton (ou retourneraient en Inde)pour nourrir leur famille.Le Tibet n'aurait guere d'autre ressource que le tourisme(et les mines),une mono-economie a l'image du coton en Ouzbekistan.

Mais qui sait,le Tibet est un pays different et l'apres-independance pourrait se passer mieux?

En tous les cas, il faudrait que cette independance arrive vite,car le visage du Tibet change a une allure foudroyante.

Autrefois le potala n'etait qu'une extension a l'ouest du Lhassa pre-invasion.La ville l'entoure entierement,pousse jusqu'au pied des monasteres de Drepung et Sera(deux des quatres plus importants du Tibet) et n'arrete pas de s'etendre a l'ouest, encourage par un slogan geant en singlish, estampille de la tete de termite de Deng Xiaoping:"The developing zone is very promising!"

A l'extremite de Lhassa, sur la route de Shigatse,un village de plus est absorbe dans la "developing zone".Les maisons qui n'ont pas encore ete remplacees par des concessionaires automobiles ont ete souillees d'un charactere rouge qui signifie bien evidemment "a detruire".Les habitants seront reloges dans des fausses maisons tibetaines.De loin ca y ressemble, mais il y a quelque chose qui cloche... Est-ce leur alignement,leur architecture exctement identique?Ou le fait que les briques sont laissees apparentes,les murs non recouverts de torchis puis peints en blancs, et les fenetres encadrees de catelles?Les reloges se plaignent du froid.

Plus je passe de temps a l'Ouest de la Chine,et en particulier au Tibet, plus je suis convaincu qu'il y a une maniere chinoise de faire les choses et qu'elle est fondamentalement differente, souvent opposee, a la maniere tibetaine.

Soleil de Lhassa

Il reste a Lhassa des lieux bouillonants de vie, fuieusement tibetaine et qui le resteront quelques annees encore.Promenez-vous autour du Jokhang,le temple central du vieux Lhassa.Les pelerins se prosternent a longueur de journee devant l'entree tandis qu'une masse compacte tourne dans le sens des aiguilles d'une montre du matin au soir.

Tout autour, le bazar de Lhassa est un spectacle permanent... Une foule heteroclite,venant du Kham ou du Ngari,de l'U-tsang et du Khombo,ou meme de l'Avuho et du Moyu,de tous les coins du Grand Tibet, y negocie viande de yak et racines troma,ambre et turquoise,drapeaux de prieres et habit monastique,tsampa,DVDs de musique tibetaine, et bien plus encore.

C'est la que je vais lorsque les Chinois me minent trop le moral, et c'est de la que renaitra le Tibet si on lui laisse la chance.

PO RANGZEN!!!

Adrien

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