18 février 2008

Encore plus de frontières sur la Terre...

Bonjour!

Il fait beau à Genève aujourd'hui, un jour de plus de ce chaleureux "hiver indien". Mais pas un jour comme les autres: Vous vous êtes réveillé ce matin sur une planète qui compte 184 états, un de plus que hier matin. Le Kosovo s'est autoproclamé indépendant et les Balkans poursuivent leur atomisation. Encore un peu plus de frontières sur la Terre, mais en avait-elle vraiment besoin?

Lorsqu'au début de mon odyssé, j'ai traversé deux mois durant les ex-républiques yougoslaves, je n'aurais jamais cru que la prédiction du jeune Petar, 14 ans, Bosno-serbe de Banja Luka, se réaliserait. Il m'avait dit: "Tout est déjà décidé. Le Monténégro deviendra indépendant, le Kosovo aussi, tandis que les Européens et Américains empêcheront La Republika Srpska [république autonome des Serbes de Bosnie] de fusionner avec la Serbie."
C'est exactement la situation actuelle. La prophétie de Petar s'est réalisée.

La revanche d'un peuple

Qu'un peuple longtemps pérsécuté, massacré, bafoué proclame sa liberté est plus que légitime, c'est un événement réjouissant. Nettement moins louable est la facon dont l'UE et les USA ont arbitré. Ils ont poussé à un acte qui malheureusement est illégitime sur le plan du droit. Mais surtout, ils ont été partiaux. Ô combien il est regrettable que les diplomaties censées être les plus rôdées du globe, s'enlisent dans des schémas de "gentils" et de "méchants"! Pour reprendre les mots de Gibran, toute victime porte une part de responsabilité, et tout coupable une part d'innocence. Les meurtris d'hier peuvent être les bourreaux de demain, et la paix à venir ne pourra pas se faire sans les ex-assassins. L' UE et les USA auraient du prendre assez de recul pour discerner les conséquences et se comporter avec assez de neutralité pour jouer les vrais intermediaires. Ils n'ont fait aucun des deux.

A la non-diplomatie européenne, va suivre bientôt des réactions divergentes voire contradictoires: Alors que certains pays parmi les 27 vont rapidement reconnaître le dernier-né des états, certains comme la Belgique, Chypre, la Roumanie ou l'Espagne, risquent fort de manifester leur désaccord, craignant de donner du crédit aux luttes séparatistes (flamande, turque, hongroise, basque, catalane) qui agitent leurs propres nations.
A la lisière de l'Union, des états déjà indépendants de facto voudraient en profiter pour s'émanciper davantage: L'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, et encore plus proche de nous mais dont on ne parle presque jamais, la Transnistrie (cap.Tiraspol), séparée de la Moldavie depuis 15 ans. Le président s'appelle Smirnov, comme la vodka, et est un grand ami de Poutine qui pourrait reconnaître officiellement la petite république en signe de mécontentement (Mon pronostic cependant est qu'il ne le fera pas).

Aucun changement de fond...

L'indépendance du Kosovo est-elle si diabolique? Bien sûr que non. En fait, elle va probablement changer très peu de choses à la vie de ses habitants. Et c'est bien là le problème. Avec leur non-diplomatie et leurs préjugés, les 27 sont passés à côté d'une occasion. Une occasion de casser les frontières qui sont dans la tête des gens et entre les peuples, plutôt que de renforcer celle qui existent déjà non officiellement.

Je m'explique. Le Kosovo est de facto indépendant depuis plusieurs année. Depuis les bombardements de l'Otan sur la Serbie en 1999, celle-ci a perdu le contrôle sur cette province qui dès lors survit sous perfusion de l'Union européenne et est gardée par la Kfor. La proclamation n'a rien changé à cela. Le nom de la force armée (le Kosovo n'a pas d'armée) dirigée par l'UE va être modifié, mais l'aide économique sera toujours aussi indispensable qu'avant. Avec 2 millions d'habitants, une économie au point mort et au moins 60% de chômage, le Kosovo n'est pas un état viable en lui-même. J'espère pourtant, avec peu de conviction, que la proclamation va imprimer un nouveau dynamisme économique. Mais je doute que ce pays n'ait de perspective hors d'une profonde intégration à l'Europe du Sud-Est.

...Mais des barrières entre les peuples durablement inscrites

Le Nord du Kosovo est coupé du reste du pays. Personne ne franchit le pont de Mitrovica. Personne,sauf quelques soldats de la Kfor et ces jours-ci des journalistes. Au Nord, on parle serbe, on paye en dinar serbe, et on vit avec les aides économiques serbes. L'integrité territoriale du Kosovo est mal partie. Mais ce n'est pas mon principal souci. Pour moi, le désastre, c'est que les perspectives de rapprochement entre les deux peuples est maintenant nulle pour longtemps. La porte n'était que très faiblement entrouverte, elle semble désormais fermée à double tour.

Dans les petites enclaves serbes du centre et de l'est du Kosovo, on vit littéralement dans des ghetto. Quelques villages sont regroupés autour de monastères orthodoxes du XIVe siècle, les plus anciens de la Slavie du Sud. L'horizon de ses habitants s'arrête souvent à quelques kilomètres des monastères. Albanophone et slavophones vivent ensembles depuis plus d'un millénaire, mais ils ne se parlent plus.

La politique européo-américaine dans les Balkans est une catastrophe depuis le début. En enterinant un découpage géographique en fonction de l'appartenance ethnique- chose impossible dans les faits-, elle cristallise des rivalités qui ont toujours varié en intensité dans l'histoire, mais qui peuvent diminuer drastiquement à force d'effort. La solution de facilité et de reponsabilité minimum de l'UE et des USA est le gage que la crise va durer.

Pour conclure.

Au-delà de la question des Balkans, on pourrait pousser une refléxion globale. Quelle est la priorité? La paix, la préservation de l'identité culturelle, l'indépendance formelle?

Au fil de mon expérience et de mes voyages, j'ai compris que si ces trois revendications se complètent parfois, elles peuvent aussi se contrarier. Des pays ex-colonisés ont graduellement perdu de leur spécifité culturelle en acquierant l'indépendance. La moitié du Tadjikistan vit et travaille à l'étranger pour nourrir leur famille. Ceux-là doivent parler russe ( au moins 95% d'entre eux travaillent en Russie ou dans des pays d'ex-URSS), tandis que les aides à la culture locale et l'éducation sont êxtremement défavorisées.L'un dans l'autre, les Tadjiks semble être plus rapidement russifié et arrive moins à défendre sa culture qu'à l'époque soviétique ou tous l'excellente éducation se faisait aussi en tadjik et la littérature, le théâtre en langue tadjik étaient encouragés.

A l'opposé, certaines minorités ont plus de libertés dans le cadre d'une plus grande nation que seules. En Suisse par exemple, les Italophones des Grisons ont de très nombreux droits et bénéficie de nombreuses subventions pour l'entretien de médias et d'une culture en langue italienne. Globalement, ils sont mieux lotis que s'ils faisaient partie du Tessin (et je ne parle même pas de s'ils faisaient partie de l'Italie!)

Finalement, l'indépendance se fait parfois au détriment de la paix, comme dans les Balkans. Alors qu'une culture particulière ne s'affirme pleinement que dans un environnement stable. Le premier souci des hommes est de ne pas avoir le ventre vide. La préservation d'une culture, d'une langue, d'une identité particulière est une préoccupation de gens déjà rassasié!!!

Si vous avez eu le courage de me lire jusque là, je vous signale que j'ai rétabli l'option commentaire et que si vous voulez me laisser votre avis sur le thème que j'ai évoqué, j'en serais ravi.

Que votre ombre grandisse,

Adrien

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